L'ozone va en remettre une couche
Cela irait moins mal. Grâce à la prise de conscience mondiale, l'émission des gaz toxiques a été enrayée. Mais il faudra cependant plusieurs décennies pour que l'enveloppe protectrice de la planète cesse de se détériorer. Explications
Voilà trois mois qu'un trou est apparu dans la couche d'ozone, juste au-dessus de l'Antarctique. Depuis quelques semaines, il se referme, comme chaque année à la même période. Le phénomène devrait s'achever dans les prochains jours mais, déjà, c'est l'occasion d'en faire le bilan. Publié deux fois par mois par l'Organisation météorologique mondiale (OMM), l'état de santé de la couche d'ozone n'est pas bon: cette protection naturelle contre les rayons nocifs du soleil, essentielle pour la vie sur terre, s'est affaiblie plus vite que d'habitude. L'ouverture s'est opérée sur près de 27 millions de kilomètres carrés, une superficie qui englobe même la pointe sud de l'Amérique latine.
En août dernier, pourtant, une étude publiée dans le Journal of Geophysical Research annonçait une amélioration de la situation. Selon ses auteurs, le phénomène de détérioration se serait en partie arrêté ces dix dernières années, après une phase de dégradation continue entre 1978 - date des premières mesures - et 1996. Doit-on remettre en question leurs conclusions? Non. Celles-ci ont été vérifiées par différentes méthodes de calcul. Seulement, «il ne faut pas confondre un ralentissement dans le processus de destruction avec un rétablissement de la couche d'ozone», précise Sophie Godin-Beekmann, vice-présidente de l'International Ozone Commission. «Le déclin se poursuit, mais à un rythme plus lent», résumait en septembre dernier, à l'occasion de la Journée internationale pour la protection de la couche d'ozone, Geir O. Braathen, climatologue à l'OMM.
La découverte du «trou» remonte à 1984. Cette année-là, des chercheurs du British Antarctic Survey, basé dans les glaces du pôle Sud, font un terrible constat: la couche d'ozone située dans la stratosphère, entre 15 et 25 kilomètres au-dessus de leurs têtes, a perdu un tiers de son épaisseur. Dans un premier temps, ils n'ont pas cru à la validité de leurs mesures. Ce résultat aberrant devait être dû à un défaut de leurs instruments, pensaient-ils. Mais de nouveaux appareils ont confirmé ces observations. Et leur cri d'alarme, lancé dans la revue Nature, ébranle la communauté scientifique, déjà sensibilisée par un article publié dix ans plus tôt, dans le même journal, par Mario Molina et Frank Sherwood Rowland.
Ces deux chercheurs américains, qui reçurent le prix Nobel de chimie en 1995 pour leurs travaux, s'inquiétaient des répercussions que pouvaient avoir certains gaz industriels sur l'ozone (O3), une forme instable de l'oxygène. Ils accusaient notamment les chlorofluorocarbures (CFC), très utilisés à l'époque dans les réfrigérateurs, les climatiseurs et les aérosols. Poussés par les vents jusqu'aux pôles, ces produits chlorés s'y retrouvent fortement concentrés.
Leur présence ne suffit cependant pas à expliquer les dégâts observés dans l'Antarctique. La destruction de l'ozone nécessite celle de deux autres ingrédients. Des températures glaciales, tout d'abord. Pendant la nuit polaire australe, la lumière et la chaleur du soleil disparaissent. Le thermomètre descend alors largement au-dessous de - 78 degrés Celsius, précisément le seuil de froid à partir duquel se forment des nuages dans la stratosphère, juste au niveau de la couche d'ozone. Ces nuages n'ont rien de commun avec ceux que nous connaissons: ils ne sont pas seulement formés d'eau; ils sont aussi composés de gouttelettes d'acide nitrique. Or ces particules réagissent très vivement aux produits chlorés. Elles les activent et les rendent presque agressifs. Intervient alors un troisième facteur: la réapparition, à la fin de l'hiver, du soleil. Ses rayons, en frappant les composés chlorés, les excitent encore plus, les poussant à casser les molécules d'ozone.
L'attaque des CFC est d'autant plus brutale au printemps qu'ils ont eu toute la durée de la nuit polaire pour s'accumuler, sans pouvoir exprimer leur nocivité. En quelques semaines, ils réduisent la couche d'ozone à pas grand-chose. Celle-ci ne disparaît pas totalement. Mais elle s'amincit tellement que les climatologues n'hésitent pas à parler de «trou». Aujourd'hui, cette strate perd, pendant trois mois, les deux tiers de son épaisseur!
«Nous sommes dans une phase de transition»
Cela pourrait être pire. Heureusement, après la découverte du phénomène, les politiques ont très vite réagi pour inverser la tendance. Le 16 septembre 1987, une vingtaine de gouvernements ont adopté le protocole de Montréal. Cet accord international réglemente les émissions de gaz destructeurs d'ozone. Il est aujourd'hui ratifié par plus de 180 pays. Et ses objectifs ont été atteints: les régions industrialisées du monde n'utilisent plus les CFC depuis 1996. Comme ils ne sont presque plus émis par l'activité humaine, leur teneur n'augmente plus dans l'atmosphère. Ils ont atteint un plateau et commencent même à décroître.
En revanche, les CFC libérés avant l'application de l'accord mettront plusieurs décennies avant de se dissiper complètement. Leur potentiel destructeur s'exercera encore, mais avec moins d'intensité qu'aujourd'hui. «Nous sommes dans une phase de transition, explique Sophie Godin-Beekmann. D'après les modèles de prévision, la couche d'ozone commencera à se rétablir vers 2010. Mais il faudra attendre le milieu du XXIe siècle pour qu'elle retrouve l'épaisseur qu'elle avait dans les années 1970.»
Cela pourrait même demander plus de temps. Car d'autres facteurs climatiques interviennent et retardent cette guérison. Le premier d'entre eux: le réchauffement climatique, qui conduit, sans que les spécialistes sachent bien l'expliquer, à un refroidissement de l'atmosphère en altitude. En compilant les résultats de plusieurs modèles statistiques, le géophysicien américain Venkatachalam Ramaswamy, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa), a en effet estimé que la stratosphère perdait 0,3 degré par décennie, favorisant la formation de nuages, donc la destruction de l'ozone. Les émissions de CO2 ne cessant d'augmenter, la situation n'est pas près de s'améliorer. Même les hydrochlorofluorocarbures (HCFC), qui remplacent les CFC depuis que ces derniers ont été interdits, ne sont pas inoffensifs, puisqu'ils contribuent à l'effet de serre. Or le protocole de Montréal ne prévoit de les supprimer qu'à l'horizon 2040.
Autre frein à un rétablissement rapide: le phénomène de disparition s'autoentretient. Selon le dernier rapport de l'International Ozone Commission, publié en 2003, il contribuerait aussi au refroidissement de la stratosphère. Explication: en se dissipant, l'ozone ne peut plus absorber correctement les rayons ultraviolets. Il ne permet plus de retenir la chaleur du soleil en altitude.
A quelle échéance peut-on espérer une amélioration véritable? Les observations annuelles sont déroutantes et brouillent les résultats que fournissent les modèles mathématiques. 2005 s'annonce comme un mauvais cru. Mais, en 2004, la superficie du «trou» n'avait été que de 20 millions de kilomètres carrés, succédant au record de 2003 (28 millions de kilomètres carrés). Certains spécialistes voient dans le ralentissement de la destruction de l'ozone un effet du cycle solaire. Ce dernier dure onze ans et se manifeste, à son apogée, par de violentes tempêtes et de puissantes explosions à sa surface, qui influencent le taux d'ozone global et le font augmenter. Un apogée qui, justement, va se produire... très prochainement. Voilà pourquoi, selon Sophie Godin-Beekmann, «il faut voir si, à la fin de 2008, la situation ne se détériore pas à nouveau». Rendez-vous, donc, dans trois ans.
source:
http://www.lexpress.fr/info/sciences/dossier/pollution/dossier.asp?ida=435689
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