Libération sort dans son édition du 29 mai un supplément gratuit de 40 pages: Vive le pétrole cher
A découvrir dans les kiosques ce lundi avec Libération, un supplément gratuit consacré au «roi Pétrole». Ou comment le baril à prix d'or nous aidera à faire bouger le monde
La fin du pétrole n'est pas pour demain. Mais la fin du pétrole bon marché est avérée. Le baril à trois cents dollars n'est plus un mythe. Experts, banquiers, militants, militaires, planchent déjà sur ce futur possible, pour ne pas dire proche.
La difficulté croissante à étancher la soif planétaire en pétrole est chaque jour plus évidente. Le Nord pompe à tour de bras depuis près de cent cinquante ans, et le Sud aspire logiquement à le rejoindre. La consommation mondiale, les formidables tensions géopolitiques, tirent le prix du baril vers le haut dans une spirale infernale. Cette situation provoque des raisonnements en noir et blanc. Les optimistes parient que la technologie, l'argent dégagé par un pétrole cher, doperont l'exploration et la découverte de nouveaux gisements. Les autres voient le compte à rebours déjà enclenché, le monde consommant presque autant en vingt ans qu'il ne l'a fait depuis la construction du premier derrick : technologie ou pas, d'ici deux décennies, peut-être même une seule, l'or noir aura quasiment disparu. Et bien avant cela la carte politique du monde risque d'être profondément bouleversée, car les pays assoiffés d'or noir n'assistent pas les bras ballants au désastre annoncé.
Nous réagirons. Aujourd'hui ? Demain? Une seule certitude, ce sera sans doute tard, et notre inertie risque fort de gripper les rouages d'une mondialisation triomphante. Sans même parler des autres conséquences de cette fringale d'or noir – pollution, réchauffement du climat, montée des océans – considérées en général comme quantité négligeable. Qui se soucie des populations les plus vulnérables, de celles qui, par centaines de millions, seront les premières victimes d'un pétrole toujours plus cher, qu'elles ne pourront plus s'offrir ? Qui, hormis les scientifiques, économistes, anthropologues, écologues, agronomes, physiciens de l'atmosphère et ONG, s'inquiète de la facture des coûts externes engendrés par une planète shootée au pétrole ? Pas les politiques. Pourtant, dès la conférence de Stockholm en 1972, l'environnement s'est invité dans les débats, et les Etats ont été confrontés à la réalité de leur interdépendance planétaire. Certes, en 1992, la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement de Rio de Janeiro a débouché sur nombre de conventions d'importance majeure, sur le climat par exemple, ou encore la biodiversité. Enfin, le sommet de Johannesburg en 2002 a tenté de considérer le développement social comme la clé de voûte du développement durable. Mais tout cela avec les résultats qu'on sait : trois fois rien. La prise de conscience est réelle, mais les actes tardent. Et le pétrole n'en finit pas de s'envoler sans autre conséquence que de durcir la vie quotidienne.
Et si, pourtant, ce baril hors de prix avait des vertus ? Aujourd'hui, personne ou presque ne se soucie de consommer mieux, c'est-à-dire de consommer moins de ressources et surtout d'énergie. En dépit d'un engouement sans précédent, les énergies «propres», sans hydrocarbures ni déchets à long terme, ne pèseront au mieux que 2 % de la consommation mondiale en 2030. Même l'atome n'y pourra rien. Pourtant, la Chine, l'Inde, l'Europe, n'en finissent pas de planter des moulins à vent ; le Brésil fait tout pour sucrer ses moteurs et ceux du reste du monde ; et les adeptes du diesel à huile découvrent des qualités à la friture.
Un pétrole cher, c'est l'assurance que les milliers de projets, d'expériences du moins consommer, ou du consommer autrement, ne seront plus de simples gouttes d'eau réservées à quelques bobos. La plupart des idées qui germent ici et là n'attendent plus qu'un petit coup de pouce et beaucoup de pédagogie : est-il normal que l'Autriche affiche trois fois plus de chauffe-eau solaires que la France ? Est-il raisonnable d'utiliser des hordes de camions quand le rail a prouvé depuis longtemps son efficacité ? Est-il judicieux que les ingrédients d'un simple pot de yaourt parcourent plusieurs milliers de kilomètres avant d'atterrir sur nos tables ? Est-il légitime de dégrader les côtes chiliennes en quelques années pour assouvir l'appétit de saumon des Européens ?
Le choc pétrolier dont nous vivons les prémices exige des politiques ambitieuses, pour forcer les uns, et accompagner les autres. Mais on ne les voit se dessiner ni en France ni en Europe ni ailleurs. La cure de désintoxication au pétrole aujourd'hui, la panne sèche demain, seront d'autant plus violentes que les responsables politiques auront gardé leurs oeillères. Pourtant, le développement durable, trop souvent considéré à tort comme un simple thème en vogue, ambitionne d'instaurer un état universel de bien-être en «écologisant», en humanisant l'économie. Chacun, politiques en tête, récite sans se tromper la définition du développement durable : «Un type de développement qui permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.» Mais voilà, chacun voit la durabilité à sa porte. Si nous ne faisons rien, demain, le baril sera à prix d'or quand le sevrage sera impossible et le climat en surchauffe. Alors aujourd'hui, ce pétrole déjà cher est l'occasion ou jamais de changer notre monde. Vive le pétrole cher, donc !
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