7 novembre 2005

Voiture électrique, l'heure pile?

Il y a dix ans, ce mode de propulsion n'avait pas rencontré le succès escompté. Deux industriels français - Bolloré et Dassault - misent aujourd'hui sur son développement. Un pari risqué, mais les technologies ont évolué et le contexte énergétique n'est plus le même...

Comme une rock star, chacun de ses déplacements attire, à défaut des foules, les puissants. Ce jour-là, la cérémonie se déroule au ministère des PME, lorsque l'hôte des lieux, Renaud Dutreil, fait son éloge avant d'embarquer à bord d'un Scénic, un monospace aux couleurs de Renault mis au point par la Société de véhicules électriques (SVE), une filiale du groupe Dassault (propriétaire de L'Express). En ce samedi automnal, l'homme politique s'enflamme pour ce mode de propulsion propre: «Nous sommes entrés dans l'ère de l'après-pétrole. Il ne faut pas hésiter à rompre les tabous, à tordre le cou aux idées reçues.»

Même spectacle, mêmes louanges le 26 septembre, chez son homologue des Transports. Puis le lendemain, dans un décor plus surprenant: au centre de tri postal du Xe arrondissement de Paris, Nelly Ollin, ministre de l'Ecologie et du Développement durable, réceptionne deux utilitaires Kangoo, qui carburent au kilowatt.

Les constructeurs automobiles privilégient les solutions hybrides


Pour ceux qui en douteraient, la voiture électrique est en tournée. Dans le milieu du show-business, cette tentative de retour s'appelle un come-back. Car ces scènes aux accents dithyrambiques se jouaient déjà, presque mot pour mot, voilà dix ans. Comme le 30 novembre 1995, lorsque MM. Jean Tiberi (ex-maire de Paris), Jacques Calvet (ex-PDG du groupe PSA) et Louis Schweitzer (ex-patron de Renault) battaient le pavé pour promouvoir la même technologie. A l'époque, Calvet y croyait tellement qu'il évoquait de mirifiques perspectives: jusqu'à 200 000 véhicules vers 2005-2010... Une décennie plus tard, la réalité est plus cruelle: entre 10 000 et 15 000 voitures électriques auraient été écoulées à travers toute l'Europe, dont les deux tiers en France. Avec des creux de ventes annuelles qui donnent le vertige: pendant l'année 2003, 113 exemplaires ont été achetés sur le territoire! Outre une poignée de particuliers, ces engins - des Saxo, Partner, AX, 106, Berlingo ou autres - ont été acquis par des institutions comme les collectivités, les municipalités (La Rochelle, Bordeaux, Lyon, Paris), les ministères - notamment celui de l'Intérieur - et surtout par des entreprises publiques: 1 500 pour EDF et 600 pour La Poste. «En 1996, la loi sur l'air nous incitait même à doter 20% de notre parc automobile en électrique, mais nous n'avons jamais pu aller jusque-là», regrette Patrick Widloecher, directeur du développement durable de La Poste.

Pourquoi un tel fiasco? «Ce mode de propulsion a souffert de lourds handicaps, qui se sont révélés rédhibitoires», tranche Patrick Coroller, chef du département technologie des transports à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Trop cher, tout d'abord. Si, sur le papier, l'électrique semblait de cinq à dix fois moins coûteux que l'essence (entre 1 et 1,50 € pour 100 kilomètres), il s'est révélé ruineux à l'usage. Outre l'achat de la voiture (à un prix similaire à celui d'un modèle à essence), les heureux propriétaires devaient louer de bien onéreuses batteries (150 € par mois). Or ces dernières, gourmandes en énergie, permettaient de parcourir au mieux 80 kilomètres avant une nouvelle charge. Une autonomie inacceptable, qui a cantonné la fée électrique à de petites distances.
Des philosophies radicalement opposées
L'expérience a aussi montré que le matériau utilisé - nickel-cadmium - posait (et pose toujours) un problème de recyclage longtemps mésestimé. Au point qu'une directive européenne sur le traitement des véhicules en fin de vie a menacé, dès 1998, d'en interdire l'utilisation. «Même si elles sont recyclables à 80%, les batteries de ce type renferment des métaux lourds difficiles à traiter», reconnaît François Barsacq, de la société Saft, l'un des principaux fabricants du marché.

Le bide de cette première génération de voitures propres n'est pas seulement d'ordre technologique. Elle a aussi souffert d'un manque d'enthousiasme général. De la part de ceux qui l'ont vendue: «A l'époque, vous entriez chez un concessionnaire avec la meilleure volonté du monde, et il cherchait surtout à vous vendre un moteur Diesel», se souvient Paul Rivault, du Centre d'études et de recherches sur les véhicules électriques et hybrides (Cereveh). De la part de ceux qui en assuraient la maintenance, peu enclins à former du personnel, si bien que, à l'échelle de l'Hexagone, quelques centres seulement pouvaient les recevoir. «Au final, 86% de nos véhicules électriques ont été déployés dans les grandes métropoles», précise Robert Durdilly, directeur activités et participations nouvelles d'EDF. De la part, enfin, des garagistes, qui ont vu d'un mauvais œil l'arrivée de quatre-roues à la mécanique simple, donc à l'entretien limité.

Aujourd'hui, malgré cet échec cuisant, la voiture électrique pourrait connaître un soudain retour en piste. «Avec un prix du baril de pétrole qui flambe et la prise de conscience générale de la pollution par le gaz carbonique issu du secteur des transports, croyez-vous vraiment que l'on puisse s'offrir le luxe d'abandonner une des voies les plus environnementales?» plaide Claude Moreau, président de la Commission interministérielle pour les véhicules propres et économes (Civepe), qui remettra cette semaine un rapport au Premier ministre. L'une de ses conclusions encourage les flottes publiques à tenter à nouveau l'aventure de l'électrique. Au-delà du contexte international, il existe un argument fondamental qui plaide en faveur d'une telle résurrection: en dix ans, la technologie des batteries a fait un bond en avant considérable, avec le remplacement du nickel-cadmium par le lithium-ion. «Cette nouvelle génération stocke plus d'énergie pour un poids diminué de 20%», résume François Barsacq. Résultat? Une autonomie multipliée par trois (250 km), une puissance améliorée et une bonne vitesse de pointe (130 km/h).» En France, à l'heure actuelle, deux industriels travaillent dans cette voie, avec des philosophies radicalement opposées. Le groupe Bolloré prospecte sur une batterie dite «lithium-métal-polymère» (LMP). «Elle repose sur un processus industriel par extrusion, mis au point à l'origine pour l'industrie papetière», explique Jean-Louis Bouquet, président de BatScap, une filiale du groupe breton qui a ouvert une usine de fabrication à Quimper. La petite merveille se veut plus sûre, encore plus puissante et d'une durée de vie record (dix ans). Persuadé qu'il tenait là l'énergie idéale, Vincent Bolloré a alors cherché à créer une voiture autour. Tout simplement. Quitte à investir une somme rondelette (70 millions d'euros). Présenté au dernier Salon de Genève, le concept car, dessiné par Philippe Guédon, père de l'Espace de Renault, répond au doux nom de BlueCar et vise en priorité le marché des particuliers urbains.

Des «voitures de Salon»
Même marotte mais pari industriel inverse pour Serge Dassault, qui cherche à adapter l'électrique sur n'importe quel modèle existant et veut s'attaquer d'abord au secteur des entreprises et des institutions publiques. Voilà cinq ans, l'avionneur, convaincu de la fin prochaine de l'ère de l'or noir, réunit autour de lui une poignée de fidèles, qu'il charge de faire le tour du monde des technologies existantes. L'équipe de choc fait son marché: le moteur, choisi pour sa compacité, sera acheté à TM4, une filiale du groupe canadien Hydro-Québec; Saft produira les batteries au lithium-ion; la carrosserie sera fournie par Renault. Quant à Dassault et à Heuliez, ils joignent leurs forces au sein de la Société de véhicules électriques (SVE). L'un apporte l' «intelligence embarquée», selon Sébastien Rembauville-Nicolle, directeur commercial de SVE; l'autre, après avoir longtemps travaillé avec PSA, offre son expérience des voitures électrique.

De cette union plurielle naîtront trois rejetons, tous appelés Cleanova (contraction de clean - propre - et d'innovation). «L'un des modèles peut même être considéré comme un engin hybride, avec un moteur électrique et un petit groupe électrogène à essence, qui ne sert pas à la propulsion mais recharge les batteries», précise Sébastien Rembauville-Nicolle. D'où une autonomie encore améliorée: jusqu'à 500 kilomètres avec un plein de kilowatts et 20 litres d'essence!

Aujourd'hui, malgré les discours enflammés, la «Bollorémobile» et la «Dassaultmobile» sont, avant tout, des «voitures de Salon», exhibées sur toutes les foires de la planète mais s'étant peu (ou pas) frottées au bitume. Pour la «vérité du terrain», il faudra attendre une ou deux années supplémentaires. «Sur le projet Bolloré, nous n'avons pas de visibilité en ce qui concerne les essais», observe Robert Durdilly, d'EDF, alors même que l'électricien français se trouve associé (à hauteur de 20%) dans BatScap. Indéniablement, alors que les tests officiels sur route de la BlueCar ne cessent d'être repoussés, le groupe Dassault vient de prendre une roue d'avance. Les deux Cleanova livrées le 27 septembre à La Poste ne sont que les premiers exemplaires d'une série de 30 véhicules qui seront aussi testés au sein d'EDF, ou encore dans des collectivités locales et quelques entreprises privées. «La durée de vie réelle des batteries et le prix de revient de la voiture sont les deux facteurs qui dicteront notre choix», prévient Patrice Poisson, directeur du matériel roulant de La Poste. Avant d'ajouter que le temps presse: «D'ici à 2008, nous aurons à renouveler la moitié de notre flotte.»

Les deux industriels français, si puissants soient-ils, ne pourront pas continuer indéfiniment à engloutir des sommes colossales et devront s'allier avec un constructeur automobile s'ils veulent commercialiser leurs créations. A ce détail près: aucun ne s'est montré intéressé. Traumatisés par l'échec cuisant de la première génération de voitures électriques, la plupart n'investissent plus dans cette filière et semblent privilégier des solutions hybrides - essence (ou diesel) et électrique. A ce titre, la réussite de la Toyota Prius, lancée en 1998, marque le premier succès industriel d'un mode de propulsion véritablement innovant: 150 000 exemplaires vendus rien qu'aux Etats-Unis. Un comble au pays du tout-pétrole!

Du coup, les modèles se multiplient chez Ford, Honda, Nissan, Mazda, Audi, etc. Côté français, c'est le désert, même si Peugeot dit travailler à un hybride diesel-électrique. «En attendant la pile à combustible, nos constructeurs préfèrent jouer la carte du diesel plutôt que celle de l'électrique ou de l'hybride. Un choix dangereux à long terme», estime Claude Moreau. Un impératif industriel, répond PSA, qui ne manque pas de faire remarquer qu'au-delà des déclarations de principe - 53% des Français seraient prêts à acheter une voiture moins gourmande en carburant, selon un récent sondage CSA pour France Info - rares sont ceux qui franchissent le pas. Preuve à l'appui: au début de l'année, PSA a présenté en option sur la Citroën C3 un système environnemental, appelé «Stop and Start», qui coupe le moteur à l'arrêt et permet d'économiser 15% d'essence. «Avec 2 000 exemplaires vendus, les résultats sont quelque peu déroutants», lâche Jean-Hugues Duban, l'un des porte-parole du groupe. Après tout, la première voiture électrique à passer les 100 kilomètres à l'heure, en 1899 à Achères (Yvelines), ne s'appelait-elle pas la Jamais contente?

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