11 janvier 2006

Philippe Frémeaux, d'«Alternatives économiques», mensuel en pleine croissance :«Nous sommes le lieu des alternatives possibles»

Novembre 1980. Denis Clerc, professeur agrégé d'économie, fonde un fanzine de 16 pages. Engagé sur les thèses d'une gauche réformiste, précurseur de l'antipensée unique, son objectif est modeste : «Nous avons besoin de mille abonnés.» Il en aura quatre fois plus. Vingt-cinq ans plus tard, Alternatives économiques, «Alter éco» pour les intimes, compte une quarantaine de salariés, dont une quinzaine de journalistes. Sans jargon, mais sans simplisme, ce mensuel qui continue d'être édité par une coopérative ouvrière enregistre depuis sa création une belle croissance. Sur les quatre dernières années, sa diffusion a augmenté de 8 % (à 104 586 exemplaires), et les ventes en kiosque de 30 % (20 000 exemplaires). A compter de ce mois-ci, il augmente sa pagination. Entretien avec Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction.

Qu'est-ce qui explique votre succès depuis vingt-cinq ans ?

Si demain vous allez voir un investisseur, que vous lui dites vouloir faire un mensuel économique et social spécialisé, et plutôt de gauche, il vous rira au nez. C'est la réalité : nous sommes dans un pays où l'économie n'aime pas la gauche, et où la gauche n'aime pas l'économie. C'était déjà le cas il y a vingt-cinq ans. Ça l'est encore aujourd'hui. La réussite d'Alternatives économiques s'explique par son statut de scop [société coopérative ouvrière de production], où les gens se sont investis longtemps sans compter. Par ailleurs, nous avons traversé une période où la formation économique et sociale explosait en France, dans les lycées, dans l'enseignement supérieur et bien sûr dans les écoles de commerce.

Mais la presse économique ne manquait pas de titres...

Ajoutons même qu'elle était très engagée... surtout du côté du manche. C'était une presse de connivence. Elle se plaçait du point de vue de ces acteurs particuliers du champ social que sont les épargnants et les cadres. Notre projet était de faire un news magazine spécialisé qui s'adresse au citoyen, avec un grand C.

Le tout avec beaucoup de pédagogie.

Peut-être. Mais on ne se conçoit pas comme un journal pédagogique. On essaie simplement d'expliquer l'économie à des non-spécialistes. Nous avons répondu à un besoin, notamment celui des enseignants. Les gens de l'Institut de l'entreprise, groupe de réflexion proche du patronat, sont jaloux de l'influence relativement importante que nous avons sur les enseignants et les élèves.

«Alter éco» n'est-il pas devenu une école de pensée ?

Je ne crois pas. Les journaux de parti ne se vendent pas. Les lecteurs sont intelligents, ils aiment se retrouver dans un contexte général proche de leur façon de voir le monde. Mais une fois ce contexte défini, ce qu'ils attendent d'un canard, c'est qu'il leur donne des faits et surtout des analyses permettant d'éclairer ces faits, sans pour autant leur dire ce qu'ils doivent penser. On est de gauche, mais pas de la gauche.

Pour autant, vous ne mettez pas votre drapeau dans votre poche.

Alternatives économiques est sur une ligne sociale-démocrate, soucieuse d'environnement. Nous ne sommes pas le cadre où va se définir la grande alternative politique et économique, mais le lieu qui explique les alternatives possibles. Nous sommes nés à la fin des années 70. A ce moment-là, tout le monde pensait que Giscard allait être réélu. Et Thatcher justifiait ses choix politiques de dérégulation de l'économie en affirmant «There is no alternative». Un slogan qui s'imposait au reste du monde.

Votre statut de coopérative ouvrière est-il toujours adapté ?

Oui. L'avantage d'une scop, c'est que les salariés n'ont pas l'impression de travailler pour un actionnaire qui s'en met plein les poches. Ce qui rythme notre entreprise c'est que chacun se sent impliqué, que les salariés ont le sentiment qu'ils se retrouvent dans les valeurs que nous défendons, qu'ils sont certains que les dirigeants croient en l'entreprise. Le statut de scop reste adapté à notre philosophie. Lors de nos assemblées générales, chacun, du standard à la rédaction, a le même pouvoir. Théoriquement, on peut tout à fait imaginer que le service abonnement s'allie avec la maquette pour renverser la direction du journal !

Comment analysez-vous la crise de la presse ?

C'est très préoccupant. Si des quotidiens disparaissent, tout le monde en souffrira. Si le réseau des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP, la coopérative qui distribue la majorité des journaux) s'effondre et que les supermarchés prennent la relève, le risque est qu'ils disent : «On ne prend que les 30 journaux et magazines qui se vendent le plus.» Alors, notre avenir à tous, l'avenir de cette presse citoyenne, sera menacé. Moins il y aura de journaux, plus nos coûts seront élevés, plus les prix de vente augmenteront, et moins il y aura de lecteurs pour nous acheter. Ni les hebdomadaires ni les mensuels ne sont à l'abri des difficultés de la presse quotidienne. Nous venons juste derrière.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=350159

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