22 novembre 2005

La culture en semis direct représente 15% des surfaces arables américaines, avec de grands bénéfices pour l'environnement

L'Amérique abandonne la charrue


L'IMAGE des beaux sillons rectilignes s'étirant à l'infini sous le ciel d'automne ne fait plus recette dans les grandes plaines céréalières du Middle West. Les descendants des prairies breakers, ces valeureux pionniers qui taillèrent leur route vers l'Ouest à grands coups de charrue, sont de plus en plus nombreux à délaisser cette pratique millénaire pour adopter la technique dite du «semis direct» ou no till.


Les graines sont déposées directement dans les premiers centimètres du sol sous un tapis végétal vivant (gazon) ou mort (pailles et résidus de la précédente récolte) au moyen d'un semoir adapté. L'aération et l'ameublement du sol sont réalisés par la microfaune, notamment les vers de terre qui se substituent à l'antique charrue du laboureur cher à Sully et La Fontaine. Quant aux plantes parasites dont le labour permettait de limiter la prolifération, elles sont contrôlées par des herbicides non sélectifs comme le glyphosate appliqués avant ou après le semis (dans le cas de cultures génétiquement résistantes).

Restauration de la fertilité des sols


L'an passé, sur l'ensemble des Etats-Unis, près de 24 millions d'hectares (soit environ 15% des terres arables) n'ont pas été labourés. En France, où le phénomène reste encore très minoritaire, 200 000 hectares ne sont plus «retournés», notamment sous l'impulsion de l'Association pour la promotion d'une agriculture durable (Apad).


Pour ses partisans, la technique présente des avantages multiples : réduction drastique des émissions de gaz carbonique (CO2), l'un des principaux responsables de l'effet de serre, restauration de la fertilité des sols, réalisation d'économies d'énergies substantielles, amélioration du revenu et de la qualité de vie des agriculteurs qui ne sont plus astreints à passer de longues heures sur leur tracteur...


Comme l'explique Rattan Lal, agronome à l'université de l'Ohio, à Colombus, «sous l'action des micro-organismes, le carbone contenu dans l'humus du sol est facilement oxydé et libéré dans l'atmosphère sous forme de CO2. A fortiori si l'on aère la terre en la retournant : un sol labouré dégage, en moyenne, trois fois plus de gaz carbonique qu'un sol non travaillé».

Depuis l'invention de l'agriculture, il y a environ huit mille ans, on estime que 320 milliards de tonnes de carbone se sont échappés dans l'atmosphère, soit plus que les émissions dues à la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) évaluées à 270 milliards de tonnes depuis cent cinquante ans.


L'exemple des Etats-Unis est particulièrement parlant : les sols américains ont perdu entre 3 et 5 milliards de tonnes de carbone depuis que les Européens ont reconverti les immenses prairies du Middle West, en place depuis des millénaires, en terres à blé ou à maïs.

Un tiers des émissions de CO2

Pour ne rien arranger, les sols ainsi mis à nu pendant une grande partie de l'année sont fortement érodés par la pluie et le vent. Le fameux dust bowl des années 30 ruina de nombreux petits agriculteurs comme l'évoque le célèbre roman de Steinbeck, Les Raisins de la colère.


«La pratique du non-labour permet, tout en réduisant les dégagements de CO2, de reconstituer le stock de carbone des sols et donc de restaurer leur fertilité à long terme tout en maintenant un haut niveau de productivité agricole», poursuit Rattan Lal. Au plan mondial, 1,2 milliard de tonnes de carbone pourrait être ainsi «séquestré» chaque année dans le sol. Ce qui représente plus du tiers du total des émissions annuelles de CO2 !


S'ajoutent à cela les économies de carburant – et donc de dégagement de gaz carbonique – réalisées du fait de la suppression du labour mais aussi des travaux nécessaires à la préparation du lit de semences (déchaumage, hersage...). Sans oublier le moindre investissement en achat de matériels agricoles (un semoir suffit !).

Côté main-d'oeuvre, les gains sont également fort appréciables. Propriétaire d'une exploitation de 400 hectares de maïs et de soja, dans les environs de Bloomington (Illinois), John Adams l'avoue sans ambages : «Je sème, je désherbe, je récolte.» Grâce aussi aux OGM, massivement utilisés aux Etats-Unis depuis dix ans (plus de besoin de traiter le maïs contre les insectes, désherbage limité à un ou deux passages au lieu de quatre sur le soja), sa charge de travail se limite grosso modo à 30 jours au printemps et 60 jours en automne.

Rappelant que «90% des sols érodés se trouvent aujourd'hui dans les pays en développement», Rattan Lal appelle la communauté internationale à les aider à adopter cette technique «win-win» (gagnant-gagnant) qui profite autant aux agriculteurs qu'à l'environnement et à la société en général. En outre, le protocole de Kyoto fait du carbone séquestré dans le sol une source de revenu monnayable auprès des pays industrialisés.

source: le figaro

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